Vivre à la française

Le french way of life :

Cette question vous taraude certainement, même si vous n’osez pas vous l’avouer : à quoi donc les Français occupent-ils leur vie ? Comment organisent-ils leurs journées ? Y a-t-il, en France, un mode de vie spécifique, une recette miracle qui expliquerait aisément notre bonheur, notre réussite et notre sagesse ? Rien de tel, pour le savoir, qu’une enquête menée sur le terrain. Nous avons rencontré une famille de spécimens ordinaires, et nous avons tout simplement tenté de reconstituer, aussi fidèlement que possible, leurs trépidantes journées.
 
7h30. Le réveil sonne. Branle-bas de combat, tout le monde se lève. Maman essaie en vain de dissuader le petit dernier d’allumer la télévision (il y a des dessins animés japonais). Papa prend une douche tout en écoutant France-Info (les informations sont simplifiées et prémâchées, elles passent en boucle toute la journée sur un fond musical apocalyptique). Dans la cuisine, c’est l’émeute : tout est sorti en vrac, le lait, le chocolat Banania, le pain, le beurre, la confiture, les céréales (c’est bon pour la santé, c’est ce que mangent les Américains). Maman regarde l’heure et pousse un cri : il est déjà 8 heures et la nounou n’est pas encore arrivée, il faut pourtant qu’elle parte, elle a une réunion importante ce matin (maman est cadre dans une importante société de services, grâce à la loi sur les 35 heures, elle ne travaille plus que 4 jours par semaine, ce qui lui permet de mieux se consacrer à ses trois enfants). Papa fait semblant de rien et file discrètement : il sera plus tranquille dans sa voiture et prendra un café avec ses collègues dès son arrivée au bureau – c’est encore le meilleur moyen de se réveiller. 8h15. La nounou est enfin là, elle a été retardée à cause d’une grève de métro sur la ligne 4 (penser quand même à vérifier, ce n’est pas la première fois qu’elle utilise ce prétexte). 8h30. Maman dépose les deux aînés à l’école et fonce à sa réunion. Heureusement, elle n’est pas la dernière, elle se détend un peu. 12h. Il commence à faire faim. 12h30. Chacun se demande comment employer son heure de déjeuner. 13h. Papa a fait son choix, il est attablé avec trois collègues dans un petit restaurant au coin de la rue. La patronne vient les saluer, elle soigne ses bons clients. Pour fêter le fameux contrat avec les Suédois qui finira bien par être signé – depuis le temps qu’on travaille dessus ! – papa, royal, commande le menu gastronomique pour tout le monde, ainsi qu’une bonne bouteille de bourgogne. De son côté, maman a préféré se faire livrer une pizza aux anchois qu’elle mange sur le pouce. Pour éliminer ce qu’elle vient juste d’avaler, elle se rend au Gymnase Club pour une séance de stretching. Elle y retrouve tout à fait par hasard la secrétaire du grand patron et en profite pour mettre à jour ses connaissances sur la vie intime de l’entreprise. 14h15. La nounou appelle maman sur son portable – elle n’a pas le numéro de papa – et annonce que le petit a un peu de fièvre. 14h18. La maman de maman appelle maman pour lui dire que la nounou vient de lui téléphoner, et que décidément, les jeunes femmes d’aujourd’hui devraient savoir choisir entre les enfants et la carrière. Maman raccroche un peu sèchement et se remet à fumer (elle avait complètement arrêté depuis trois jours). 15h30. Papa et ses collègues sortent du restaurant, ils ne pouvaient pas partir sans terminer la troisième bouteille d’Aloxe-Corton 1989. Ils se sentent d’attaque et se demandent où ils pourront aller déjeuner le lendemain. 16h45. Maman éteint l’ordinateur, fait la bise à ses copines de bureau et se rue dans sa voiture : il lui reste dix minutes pour arriver à l’école et récupérer ses enfants. Malheureusement, le périphérique est complètement bloqué et, sur FIP, une voix suave explique avec délectation que la circulation est particulièrement dense aux abords de la capitale. Maman se résout à demander l’intervention de la voisine, en espérant que celle-ci aura oublié le conflit qui les opposait encore récemment, à propos de la haie mitoyenne. 18h. Tout le monde est enfin à la maison (sauf papa). Les enfants font leurs devoirs, maman téléphone à sa meilleure amie et parle de partir en week-end thalasso à Quiberon en Bretagne (non, non, sans les hommes et non, surtout, sans les enfants). 19h30. Papa arrive et déclare, excédé, que le périphérique était complètement bloqué. Au fait, qu’est-ce qu’on mange ? Maman tente de placer un mot sur la chambre d’amis qu’il faudrait repeindre. 20h. Les informations télévisées occupent toutes les chaînes. Silence religieux. La France est suspendue aux lèvres du présentateur et se repaît des nouvelles du monde. 20h30. On se met enfin à table. Maman conseille à ses enfants de ne pas boire trop de coca-cola, mais elle sait que le combat est perdu d’avance. Elle sait aussi qu’elle n’échappera pas ce week-end à Pokemon, le film. Cette perspective revigorante lui donne la force de terminer la vaisselle. 21h. Le voisin sonne à la porte, il a un pack de bières à la main et propose, jovial, de regarder la fin du match de foot à la télévision. Papa n’attendait que ça, et il promet à maman qu’il l’emmènera dîner aux chandelles pour leurs dix ans de mariage. Maman n’entend pas, elle est déjà montée dans sa chambre et compose, à nouveau, le numéro de téléphone de sa meilleure amie. Et pour Quiberon, si on partait plutôt une semaine ? 23h. La nuit est tombée depuis longtemps, il faut se coucher, demain est un autre jour.
Ici se termine notre reportage. Vous avez l’impression d’avoir déjà vu ça quelque part ? Vous n’y croyez pas, c’est trop cliché ? Vous trouvez que ça ressemble à une compilation grossière des articles de Cosmopolitan et de Elle ? Vous remettez en cause notre objectivité de journaliste indépendant ? Libre à vous ! Il ne vous reste plus, alors, qu’à venir juger sur pièces, à l’heure de la mondialisation, ce fameux french way of life…

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